Quand l'administration choisit d'humilier les étrangers

Publié le par rachida darty

Je viens de vivre une expérience qui, pour un Français attaché aux valeurs de la République, a été très choquante. J'ai en effet découvert l'attitude détestable et indigne des administrations consulaire et préfectorale de mon pays.

J'ai d'abord appris que pour se marier avec une citoyenne étrangère il fallait obtenir une autorisation, un blanc-seing de l'administration. Si je peux être d'accord avec une certaine forme de lutte contre l'immigration clandestine, si j'entends les arguments sur l'immigration choisie (avec laquelle je ne suis pas d'accord politiquement car je la considère très proche du colonialisme de papy), je ne peux en aucun accepter ces méthodes qui conduisent l'administration à faire, à ma place, le choix de mon épouse. Car c'est bien ce qui est arrivé et a provoqué ma colère.

Mon histoire commence par une rencontre avec une Marocaine. Nous décidons, en août 2009, de nous marier au printemps 2010. Je connais bien le Maroc, mais elle ne connaît pas la France. Comme, dans un premier temps, nous souhaitons vivre en France parce que c'est ici que j'ai mon travail, nous pensons assez judicieux qu'elle vienne quelques mois en France pour juger de son aptitude et de son envie à vivre dans ce pays.

Naïvement, elle dépose une demande de visa de tourisme de cinq mois. Je lui fournis toutes les attestations réclamées (certificat d'hébergement, copies de mes fiches de paie qui montrent que je peux subvenir à ses besoins, billet d'avion aller-retour, assurance rapatriement, etc.). Elle est alors reçue par une fonctionnaire du consulat de France à Marrakech qui s'est fait une certaine réputation dans le milieu des Marocains candidats à l'obtention d'un visa. « Si tu passes avec elle, tu n'auras pas de visa », se raconte-t-on sur place. J'ai pu vérifier par la suite que cette réputation n'était pas complètement usurpée.

Le dépôt de dossier se fait dans des conditions qu'un « rien » améliorerait. Il manque généralement un ou deux documents qu'il faut rapporter un autre jour après avoir pris un nouveau rendez-vous, uniquement par internet. Dans notre cas, les pièces étaient bien complètes, mais la demande a été jugée indécente. Le refus a été immédiat, non motivé (et je crains que la nouvelle loi qui tend à ce que la motivation soit exprimée n'y change rien) et les 100 euros de frais de dossier n'ont pas été remboursés. Tout est fait pour décourager les postulants.

La seule réponse au mail dans lequel j'interrogeais la consule générale sur les raisons qui l'avaient conduite à refuser le visa a été qu'elle n'avait pas à motiver sa décision.

Tenaces, nous déposons un nouveau dossier avec, cette fois, un appui de haut niveau. Après avoir payé une nouvelle fois 100 euros pour les frais de dossier (des frais qui correspondent à quoi?), et malgré la consigne qui avait été donnée au consulat d'attribuer un visa de trois mois, nous en obtenons finalement un d'un mois et demi.

Nous commençons évidemment à comprendre que, même avec le soutien dont nous bénéficions, décrocher un tel document relève de l'exploit. Nous décidons donc, quelques jours après l'arrivée de celle qui deviendra mon épouse, de nous marier. Le maire de notre commune, qui n'est pas obligé de s'y plier mais sait-on jamais, effectue une enquête qui est transmise au préfet du département, au procureur de la République et au consulat du Maroc de notre ressort. Personne ne réagit et le maire consent à célébrer notre mariage. Normal, tout montre qu'il est tout ce qu'il y a de plus sérieux.

Bien avant, j'avais envoyé une lettre au préfet de notre département pour tenter de le convaincre que notre mariage, justement, n'était ni blanc, ni gris, qu'il était bien réfléchi. Et je lui demandais de bien vouloir attribuer (ce qu'il a le pouvoir de faire) un visa long séjour à mon épouse. Pour toute réponse, nous avons reçu, trois mois plus tard, un arrêté d'expulsion. Le visa, entre temps, était arrivé à échéance. Courageusement, le préfet a signé cet arrêté le jour de son départ vers sa nouvelle affectation à La Réunion. Il était donc impossible de réagir car un tel arrêté sur un visa court séjour, exécutoire dans un délai de trente jours, implique un retour obligatoire à la case départ, Marrakech et son consulat. Un acte qui illustre bien ce qu'écrivait Patrick Weil dans Le Monde du 14 janvier 2009 : « Au début de 2008, les préfets ont été ainsi surpris d'entendre un des responsables du cabinet de M. Hortefeux leur indiquer que s'ils ne traitaient pas les demandes de regroupement familial il ne leur en voudrait pas. »

Mon préfet, lui, ne s'est apparemment pas posé de questions, il a reçu le message de son ministre cinq sur cinq. J'ai tout de même ressenti le besoin de lui écrire cette lettre :

« Monsieur le Préfet,

Je vous avais adressé une lettre motivée et tout à fait courtoise le 4 novembre 2009 dans laquelle je sollicitais un visa pour mon épouse marocaine. J'ai pu lire dans la presse de Saône-et-Loire que vous avez été très occupé par l'organisation du débat sur l'identité nationale et par la réponse très partisane que vous avez faite à M. Montebourg sur ses choix politiques, c'est sans doute ce qui explique votre réponse tardive, mais cependant courageuse, trois mois plus tard, puisque vous avez adressé un arrêté d'expulsion à mon épouse le jour de votre départ à La Réunion.

En lisant et en relisant cet arrêté, je ne peux m'empêcher de penser à l'un de vos illustres prédécesseurs qui, lui non plus, ne manquait pas de courage, Jean Moulin.

J'ai appris que mon courrier, dès réception à la Préfecture, avait fait l'objet d'un transfert au Bureau des Etrangers avec mention d'un avis défavorable de votre part. J'estime que notre demande aurait nécessité un minimum d'instruction avant de recevoir cet avis. Sauf à ce que la mention du nom de mon employeur, un élu socialiste, l'ait motivé.

En homme libre, je n'ai pas pour habitude de cacher, de dissimuler et, dans mon courrier du 4 novembre, je vous avais décrit la situation dans son intégralité telle qu'elle était, y compris le nom de mon employeur et, de facto, son appartenance politique avec laquelle, là encore si j'ai bien compris, vous n'étiez pas en accord profond.

Ayant par ailleurs choisi de me marier librement avec mon épouse, elle ayant fait de même, j'ai beaucoup de mal à accepter que qui que ce soit, à quelque niveau que ce soit, décide à ma place dans ce domaine. Par ailleurs, je vous rappelle quelques articles du Code civil énoncés par le maire le 14 novembre dernier - après avoir lui-même effectué une enquête qu'il vous a transmise ainsi qu'au procureur de la République -, lorsqu'il a célébré notre mariage :

 

art 212 :
« Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance »

art 213 :

« Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir »

art 215 :

« Les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie ». Cela sous-tend l’idée du devoir de cohabitation. Si pour des raisons professionnelles, par exemple, les époux sont tenus de posséder deux domiciles distincts, l’intention matrimoniale implique la communauté de vie.

J'en retiens deux points essentiels :

  • mon épouse, en situation irrégulière, est en danger et elle a besoin d'assistance. C'est vous qui l'avez mise en danger en lui refusant le visa que vous aviez le pouvoir de délivrer immédiatement. Ce n'est pas un paraphe, fût-ce le vôtre, au bas d'un document ignoble qui nous fera renoncer à tout faire pour l'obtenir. Vous avez le pouvoir d'humilier les gens, vous en avez usé, libre à vous.

  • nous nous obligeons mutuellement à une communauté de vie. C'est bien évidemment ce que nous avions choisi, mais vos tracasseries administratives nous en ont empêché.

Je ne vois pas en effet comment respecter nos engagements auxquels nous avons librement souscrits si mon épouse est expulsée du territoire français.

Puisque vous avez décidé de rendre politique (je ne trouve aucune autre raison à votre décision) un dossier que je m'étais attaché à maintenir à tout prix dans le domaine privé, je choisis aujourd'hui de le placer à mon tour dans le champ politique et public.

Malgré tout ce que je viens de vous écrire, ce n'est pas à vous en tant qu'homme que j'en veux, mais à un pays qui est capable de produire des hauts fonctionnaires tels que vous ou votre collègue du Loiret. Je suis partisan de la lutte contre une immigration clandestine, mais je suis tout autant attaché à ce que chaque dossier de demande de visa soit examiné avec la plus grande attention. Et si tel avait été le cas pour ce qui nous concerne, ce que vous aviez la capacité de faire par exemple en demandant une simple enquête de proximité à la gendarmerie (dans un petit village comme le nôtre, tout se sait), vous vous seriez très vite aperçu que notre union n'était pas délictueuse. Et vous nous auriez évité bien des tracas. En somme, ce que j'attendais de vous, c'est que vous soyez tout simplement humain tout en restant un haut fonctionnaire attaché au respect de la loi républicaine, c'est-à-dire au texte de la loi mais aussi à son esprit. Dans notre cas, vous avez sans doute trouvé plus confortable de vous cantonner au texte, ce qui, à mes yeux de simple citoyen, ne grandit pas forcément votre fonction.

Je ne peux, Monsieur le Préfet, vous adresser que des salutations distinguées et respectueuses. »

A Marrakech, donc, un nouveau dossier, gratuit cette fois car conjoint de Français (c'est précisé sur le site internet du consulat), sans rendez-vous pour la même raison (même si ce n'est aucunement précisé sur le site du consulat, ce qui nous a encore fait perdre du temps). Et puis tests de français et visite médicale. Les tests se déroulent à l'Institut français de Marrakech mais, pour simplifier les choses, la visite médicale se passe à l'OFII à Casablanca. Mon épouse parle français, elle est en bonne santé, par conséquent pas de problème. Si elle ne parlait pas notre langue, et même si nous nous exprimions tous les deux parfaitement en arabe, en anglais ou en javanais, pas de visa. C'est bien connu, l'amour ne peut s'exprimer qu'en français, l'administration en donne la preuve tous les jours...

Avec tous ses certificats en règle, on lui promet son visa long séjour pour la veille ou le jour même de son retour prévu en France. Trop simple, il reste encore une petite vexation dans le placard du consulat : l'employée revêche lui annonce qu'elle ne lui donnera que deux jours plus tard, il faudra donc changer une nouvelle fois la réservation du billet d'avion.

Quand j'écrivais plus haut que j'avais été témoin de la dureté avec laquelle étaient traités les Marocains au consulat de France de Marrakech, je n'évoquerai pas, ici ou dans les autres villes du Maroc, les nombreux cas de couples mixtes qui n'arrivent pas à faire venir en France tel ou tel membre de leur famille pendant les vacances, toujours avec billet aller-retour et l'assurance que les visiteurs repartiront, tout simplement parce qu'ils n'ont aucune envie de s'installer en France. Pour l'administration, de telles demandes sont systématiquement a priori suspectes, le terme utilisé étant « fort risque migratoire ». Il est inimaginable qu'un Marocain puisse séjourner en France sans avoir, derrière la tête, l'idée de s'installer. Il est impensable qu'il souhaite seulement rendre visite à son frère ou à sa fille!

Maintenant, je ne voudrais citer que deux exemples particuliers dont j'ai été le témoin pendant la petite heure que j'ai passée dans la salle des visas. Le premier n'est pas dramatique, enfin je le pense: c'est celui d'un chef d'entreprise qui, pour des raisons commerciales, demandait un visa de deux ans. Doux rêveur! Il est reparti sans même déposer son dossier. L'autre m'a réellement heurté : un jeune de 16 ans environ, avec un très, très lourd handicap physique, s'est présenté, accompagné de sa soeur, dans l'espoir d'obtenir un visa pour venir subir une opération. Il ne faisait aucun doute que ce gamin ne souhaitait pas venir en France pour son plaisir ni même pour travailler clandestinement. La même employée l'a regardé de haut derrière sa vitre et s'est adressée à la soeur pour la questionner sur les raisons de cette demande. « Il est déjà allé en France, a-t-elle lancé. Pourquoi veut-il de nouveau y aller? » La soeur, de façon pitoyable, a répondu que la dernière fois c'était pour des examens préparatoires à cette opération qui, visiblement, serait très lourde. Ils ont laissé leur dossier, je suis parti à mon tour, je ne sais pas s'il a eu son visa.

 

 

P.S. : pour être totalement honnête, je me dois de souligner qu'avec les fonctionnaires de l'OFII, à tous niveaux, que ce soit en France ou au Maroc, les relations ont été profondément différentes, toujours empreintes d'humanité, parfois même chaleureuses. Comme quoi, rien n'est impossible, même dans l'administration.

P.P.S. : si j'ai souhaité apporter ce témoignage, c'est uniquement dans l'espoir (très mince) que les choses puissent bouger. Malgré le soutien que nous avions, je n'ose en effet imaginer les difficultés auxquelles sont soumis celles et ceux qui n'en ont pas.

Publié dans politique

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